Promenade des anglais

Enjeux patrimoniaux des indemnités pour préjudice corporel ou moral : fiscalité et conséquences successorales

  • Marine Barret

    Ingénieur Patrimonial - Rothschild Martin Maurel

Lorsque survient un « accident de la vie », les victimes peuvent être amenées à percevoir une indemnité quand la responsabilité d’un tiers est engagée.

En effet, en matière de responsabilité civile, la justice cherche à « rétablir aussi exactement que possible l’équilibre détruit par le dommage et à replacer la victime dans la situation où elle se serait trouvée si l’acte dommageable n’avait pas eu lieu »[1].

Ces indemnisations soulèvent des questions essentielles en matière de taxation.

Comment ces indemnités sont-elles traitées sur le plan fiscal et quelles sont les implications pour l’organisation du patrimoine des bénéficiaires ?

 

Un traitement peu avantageux à l’Impôt sur le Revenu (IR) et à l’Impôt sur la Fortune Immobilière (IFI)

Les indemnités versées sous forme de capital qui viennent réparer un préjudice non économique ne sont en principe pas taxables à l’IR (par exemple : préjudice corporel ou moral). Cela s’explique par le fait que ces indemnités ne viennent pas compenser une perte de revenu taxable.

Il existe toutefois une exception à ce principe[2] : il est prévu que les indemnités perçues au titre d’un préjudice moral, fixées par décision de justice, sont imposées comme des salaires pour le montant de l’indemnité excédant 1 million d’euros[3]. Cependant, la portée de cette disposition est incertaine. Les commentaires administratifs n’explicitent pas la notion de « préjudice moral » ni de « décision de justice ». Le champ d’application semblerait toutefois écarter les préjudices autres que moraux, tels que les préjudices corporels par exemple. La notion de décision de justice n’étant pas non plus explicitée, la question peut se poser de savoir si les indemnités pour réparer un préjudice moral perçues en vertu d’arrangements amiables, de transactions ou d’une décision d’un juge étranger pourraient être considérées ou non dans le champ de cette disposition.

Les indemnités qui seraient versées sous forme de rente viagère sont quant à elle en principe imposables à l’IR[4].

Quel est donc l’impact de cette disposition sur les obligations déclaratives à l’IR d’un contribuable qui aurait perçu une indemnité pour préjudice moral ? Si le contribuable s’interroge sur son assujettissement ou non à cette disposition, une demande de rescrit peut être effectuée auprès de l’administration fiscale en exposant la situation. L’administration pourra alors se prononcer sur le caractère imposable ou non de l’indemnité perçue et lever tout doute concernant le traitement fiscal propre à la situation du contribuable.

Dans le cas où les indemnités seraient versées par des organismes étrangers, une étude complémentaire de l’articulation de la fiscalité du pays concerné avec la fiscalité française devra être réalisée.

En termes d’IFI, ces indemnités ont-elles une influence sur le calcul de la base imposable ? Rappelons qu’à l’époque de l’Impôt sur la Fortune (ISF), les biens acquis avec les sommes reçues faisaient partie de la base taxable à l’ISF. Malgré tout, pour neutraliser cette imposition, il était prévu que le montant actualisé de l’indemnité perçu pouvait être porté au passif de la déclaration ISF[5]. Pour l’IFI, il est admis que si les capitaux issus de l’indemnité ont été alloués à l’achat d’un bien immobilier, la valeur de ce bien sera imposable à l’IFI et en contrepartie le montant actualisé de l’indemnité perçue pourra être porté au passif de l’IFI. Néanmoins, cette tolérance ne s’applique que lorsque le bien immobilier a été acheté avant le 1er janvier 2018.

 

Perception d’une indemnité et conséquences successorales

Un cadre fiscal favorable…

Les indemnités et rentes reçues en réparation d’un dommage corporel sont déductibles de l’actif successoral de la victime du dommage depuis la loi de finances pour 2007. Cette dernière a élargi le champ de l’article 775 bis du CGI qui prévoyait jusqu’alors une déductibilité des indemnités versées aux victimes de certaines maladies limitativement énumérées. En l’état actuel des textes, cet article a désormais une portée plus générale englobant l’ensemble des rentes et indemnités versées en réparation de dommages corporels liés à un accident ou une maladie[6].

Par ailleurs, la doctrine administrative admet également que les ayants droit de la victime qui auraient eux-mêmes perçu une indemnité en réparation du préjudice moral et économique lié au dommage corporel causé à la victime, peuvent déduire cette indemnité de leur propre succession[7].

Il est prévu que seul le montant nominal de l’indemnité pourra être déduit de l’actif successoral (c’est-à-dire le montant qui a été perçu), sans qu’aucune revalorisation ne puisse s’appliquer. Par ailleurs, l’indemnité est déductible quelle que soit l’utilisation qui a été faite des sommes reçues. Par exemple, si les sommes ont servi à acquérir un bien, le bien en question sera un actif de la succession, et l’indemnité sera portée au passif de succession et s’imputera, au moins en partie, sur cet actif. Même dans le cas où les sommes auraient été totalement consommées, l’indemnité pourra tout de même s’inscrire au passif successoral (et s’imputer le cas échéant sur d’autres actifs détenus par le contribuable).

 

Exemple : Perception d’une indemnité de 1 M€ pour réparation d’un préjudice, puis acquisition d’un bien immobilier pour 1 M€ avec les capitaux perçus. Ce bien est évalué à 1,5 M€ au moment de la succession.

Actif successoral

Passif successoral

Actifs financiers ou immobiliers : 1,5 M€

Indemnité en réparation d’un préjudice corporel ou moral (montant nominal) : 1 M€

Actif net successoral : 500 K€

 

 

De surcroît, la déduction s’opère quel que soit le type d’indemnité attribuée (versée sous forme de rente ou de capital) et quel que soit l’organisme ayant versé l’indemnité (assureur, fonds d’indemnisation…).

Afin de s’assurer de cette déduction, le contribuable devra conserver la preuve de la perception de cette indemnité c’est-à-dire par exemple la copie du jugement et la quittance de versement. De plus, nous pouvons noter que dans le cas où une indemnité aurait été omise du passif successoral, les héritiers de la victime auront jusqu’au 31 décembre de la deuxième année suivant le dépôt de la déclaration de succession pour demander cette déduction[8].

…Sous réserve de chausse-trappes à anticiper

  1. L’examen du régime matrimonial

La perception d’une indemnité exigera une analyse attentive du régime matrimonial du bénéficiaire de l’indemnité. La question se pose en particulier lorsque le bénéficiaire est marié sous un régime communautaire.

Par principe, cette indemnité est qualifiée de bien propre par nature, même si elle a été acquise durant le mariage[9]. Cependant, il peut avoir été contractuellement prévu lors de la rédaction du contrat de mariage que ce bien sera commun, tout comme ceux qui seraient acquis avec les capitaux issus de cette indemnité. Dans ce cas de figure, le contrat devra être relu avec un œil avisé. Rappelons que les biens communs peuvent faire l’objet d’avantages matrimoniaux comme par exemple, la clause de préciput, permettant au conjoint survivant de prélever certains biens communs un instant de raison avant le partage de la succession du conjoint prémourant.

L’un des « écueils » à éviter peut résulter d’une clause d’attribution intégrale qui contraindrait le conjoint survivant à prélever tous les biens communs en cas de décès. Or, cette situation pourrait être très défavorable fiscalement, lors du décès du bénéficiaire de l’indemnité, s’il n’est pas le conjoint survivant, les biens ayant été prélevés par le conjoint, ne figureraient pas à l’actif successoral et l’indemnité ne s’imputerait sur aucun bien si la succession est « vide ». C’est au second décès que les conséquences fiscales seraient lourdes : tous les biens seraient fiscalisés sans qu’aucune indemnité ne puisse s’imputer sur l’actif de la succession du conjoint survivant[10].  

  1. Le choix des investissements réalisés avec les capitaux issus de cette indemnité

Une attention particulière devra être également accordée au choix des investissements effectués avec les capitaux issus de l’indemnité perçue. Certains supports d’investissement devront être maniés avec précaution. C’est le cas notamment des contrats d’assurance-vie. La loi précisant que les indemnités susmentionnées sont déductibles de l’actif successoral, c’est sur cette dernière notion qu’il convient de se pencher.

Le Code des Assurances prévoit que les sommes inscrites sur un contrat d’assurance-vie ne sont pas comprises dans l’actif successoral du défunt[11]. De ce fait, les sommes investies sur un contrat d’assurance-vie ne figurant pas à l’actif de la succession, il ne sera pas possible de déduire les indemnités perçues de ces sommes. Et ce, même si les capitaux sur le contrat subissent tout de même une fiscalité spécifique.

Une interrogation a été soulevée concernant les contrats sur lesquels les primes ont été versées après les 70 ans de l’assuré, car dans ce cas, les primes versées sont soumises aux droits de succession[12]. Cependant, bien que soumises au même tarif que les droits de succession, il n’en reste pas moins que ces primes ne font techniquement pas partie de la succession de l’assuré. La jurisprudence a eu l’occasion de rappeler que le régime de taxation des capitaux décès d’un contrat d’assurance-vie dont les primes ont été versées après les 70 ans de l’assuré est un régime autonome dans lequel aucun principe de déduction de charge n’est légalement prévu[13].

Une solution pourrait être de ne pas désigner de bénéficiaire du contrat d’assurance-vie. L’absence de désignation de bénéficiaire aurait pour effet de faire entrer ces sommes dans l’actif successoral[14]. Le passif successoral s’imputerait alors bien sur l’actif dans ce cas-là.

Le choix de l’assurance-vie s’avèrerait dans certains cas judicieux si le contribuable dispose par ailleurs d’un patrimoine immobilier ou financier dont la valeur serait au moins égale au montant de l’indemnité qui s’inscrira au passif successoral. Dans ce cadre-là, l’excédent de liquidités pourrait en partie être investi en assurance-vie pour profiter des avantages offerts par ce support et l’indemnité s’imputerait sur les autres biens présents dans la succession.

Une alternative à l’assurance-vie serait la souscription de contrats de capitalisation avec les capitaux issus de l’indemnité. Les contrats de capitalisation sont soumis à la même fiscalité avantageuse que l’assurance-vie durant la vie du contrat, mais, au décès les sommes font partie de la succession. Par ailleurs, un autre avantage du contrat de capitalisation au décès est l’absence d’imposition des produits aux prélèvements sociaux au taux de 17,2% contrairement à l’assurance-vie.    

L’opportunité d’investir sur ce type de support devra donc être étudiée au cas par cas avec nos équipes.

  1. Vigilance en cas de donation

Enfin, un contribuable ayant perçu une indemnité pour réparer un préjudice corporel ou moral devra également être vigilant avant de réaliser une donation. En effet, prenons l’exemple de Monsieur R ayant perçu une indemnité de 1 M€ avec laquelle il a fait l’acquisition d’un bien immobilier pour 1 M€. S’il souhaite donner ce bien à ses enfants, ce bien ne sera alors plus présent à l’actif de sa succession à son décès. Ainsi, s’il n’a pas d’autres biens, l’indemnité successorale ne s’imputera sur aucun actif. Monsieur R aura donc payé des droits de donation et aura perdu le bénéfice de la déduction de l’indemnité successorale lors de sa succession.

La perception d’indemnités soulève ainsi de nombreux sujets d’organisation patrimoniale qui nécessitent une analyse propre à chaque situation. Les équipes de Rothschild Martin Maurel sont à votre disposition pour vous accompagner et vous conseiller dans l’ensemble de ces réflexions.

 

 

[1] Cass. 2e civ., 7 décembre 1978 n°77-12.013

[2] CGI art. 80

[3] BOI-BNC-CHAMP-10-10-20-30 n°70 et BOI-RSA-CHAMP-10-40-10 n°140

[4] CGI art. 79, sauf exception citée à l’article 81,9° bis du CGI étant : les rentes viagères servies en représentation de dommages-intérêts pour la réparation d'un préjudice corporel ayant entraîné pour la victime une incapacité permanente totale l'obligeant à avoir recours à l'assistance d'une tierce personne pour effectuer les actes ordinaires de la vie

[5] BOI-PAT-ISF-30-40-40 n°90 et n°100

[6] À condition que ces sommes revêtent un caractère indemnitaire

[7] À condition que ces sommes revêtent un caractère indemnitaire, BOI-ENR-DMTG-10-20-10 n°210

[8] Rép. Labaronne : AN 29/06/2021 n°38449 et LPF. art. R*196-1

[9] C. civ. art. 1404

[10] Rép. Labaronne précitée

[11] C. ass. art. L.132-12

[12] Après un abattement global de 30 500 €, art. 757 B du CGI

[13] CA Angers, 21/06/2011, n°10/00567

[14] C. ass., art. L.132-11 et BOI-ENR-DMTG-10-10-20-20 n°30