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Valeurs minières et transition énergétique

  • Partner - Responsable de la Gestion Financière - Rothschild Martin Maurel

On estime qu’aujourd’hui l’industrie minière représente 28% des émissions mondiales de gaz à effet de serre1 et pourtant, sans celle-ci, difficile d’imaginer à terme une industrie net zero ou décarbonée. Cependant, dans un indice boursier mondial tel que le MSCI ACWI2, les métaux & mines représentent moins d’1,5%3, signe de la faible reconnaissance boursière des investisseurs à l’égard de ce secteur pourtant essentiel.

La forte hausse de la demande de métaux critiques4 visible ces dernières années se traduit inexorablement par une extraction qui a déjà doublé en vingt ans, et serait susceptible d’être multipliée par cinq à dix fois d’ici 20505 afin d’accompagner ces besoins grandissants.

Selon nous, il convient donc de se poser la question de la capacité de cette industrie controversée à relever de grands défis tant économiques, écologiques que sociaux, et de remettre en perspective les enjeux globaux et les dynamiques géopolitiques tirant les ficelles du secteur afin d’illustrer le rôle central des métaux industriels dans le cadre de la transition énergétique.

 

Des enjeux globaux et nationaux… mais des ressources mondiales finies

Les métaux dits « rares » entrent dans le processus de fabrication de nombreux produits industriels ou de haute technologie. On peut ainsi en trouver de façon substantielle dans les téléphones, les éoliennes, les panneaux solaires, les trains, les câbles électriques, ou encore les voitures électriques.

L’extraction minière de ces nombreux métaux industriels tels que le cobalt, le lithium, le nickel, le cuivre, le graphite ou encore le manganèse est nécessaire pour produire des batteries pour véhicules électriques, par exemple.

Mais deux tendances fortes créent de véritables tensions au sein de ces secteurs. D’une part nous avons les objectifs ambitieux que se fixent les Etats, à l’image de la France visant 2 millions de véhicules électriques produits d’ici 2030 (contre 120 000 en 20236), ou les Etats-Unis qui espèrent 35% de pénétration sur le segment des véhicules légers d’ici 2032, lorsque celui-ci était de 6,5%7 en début d’année 2024 (contre l’objectif précédent de 67% précédemment, revu significativement à la baisse).

D’autre part, nous dressons amèrement le constat de ressources mondiales disponibles finies : environ 5,6 milliards de tonnes métriques de cuivre (dont 3,5 milliards de tonnes non découvertes, sur base d’estimations), 8 millions de tonnes de cobalt dont près de la moitié concentrée en RDC8, 1 700 millions de tonnes de manganèse, 94 millions de tonnes de nickel… Difficile de résoudre l’équation sans être confrontés à des goulets d’étranglement : il faudrait s’approprier une part significative (voire la totalité de la production annuelle mondiale de certains métaux) pour électrifier le parc automobile français9 !

L’AIE mentionnait dans un rapport qu’à l’horizon 2035, l’offre de cuivre ne permettra de satisfaire que 70% de la demande mondiale… De quoi créer une appréciation notable du prix de « Docteur Copper »10 afin de freiner la demande excédentaire !

Et, effectivement, il semble difficile de concilier l’un et l’autre lorsque l’on sait qu’une voiture électrique nécessite environ 207 kg de métaux critiques, contre 33,6 kg pour une voiture conventionnelle, dont environ 83 kg de cuivre (contre environ 23kg pour un moteur engin à combustion), 3 à 5 kg de lithium par batterie pour voiture électrique ; du nickel, du cobalt, du manganèse etc.

Les véhicules électriques ne sont qu’un exemple ayant toutefois le mérite d’illustrer la course aux ressources minières nécessaires pour répondre aux objectifs occidentaux de transition, pas toujours réalistes par rapport à la disponibilité des ressources minières elles-mêmes, et l’importance grandissante de sécuriser ses approvisionnements en amont comme peuvent le faire certains constructeurs automobiles ou certains Etats afin de se donner les moyens réels d’une vraie transition.

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La difficile conciliation de la transition et de l’extraction des métaux

L’extraction de métaux a déjà doublé en vingt ans11 et cela devrait encore accélérer car les énergies renouvelables, les batteries de voitures électriques, les panneaux solaires, les éoliennes dépendent largement de ces extractions pour leurs productions. L’Agence Internationale de l’Energie (IEA) estime notamment que l’extraction de métaux devrait être multipliée par 6 d’ici 2040 pour atteindre le « Net Zero » à l’échelle mondiale.

Dans cette transition, il s’avère difficile d’entrevoir un ralentissement de la demande pour ces métaux à l’échelle mondiale lorsque l’on sait qu’en Chine près de 300GW de production solaire et éolienne ont été installés en 2023 (+99% par rapport à l’année précédente) avec, en une année, presque autant de panneaux solaires installés que dans toute l’Europe en 30 ans12.

Cela soulève des questions quant à la soutenabilité de cette croissance extractive, se situant souvent à un rythme bien supérieur au rythme historique, pouvant en elle-même créer dans certains cas des externalités négatives (environnementales, sociales…).

Nous l’écrivions en décembre 202313, McKinsey estime que les investissements nécessaires entre 2021 et 2050 pour atteindre l’objectif « Net Zero » étaient de l’ordre de 9 200 milliards de dollars : des investissements colossaux, avec une part évidente nécessaire (en amont) dans l’extraction des métaux. L’ONU alertait récemment que la demande de lithium, nickel, cobalt ou cuivre pourrait exploser de 1 500% d’ici 2050 et en face de cela elle ne recense « que » 110 nouveaux projets miniers dans le monde14, bien en deçà du niveau a priori nécessaire.

La nécessité d’accélérer à ce point l’extraction de métaux afin de faire face à cette demande grandissante peut entraîner des comportements déviants de la part d’acteurs de l’industrie, et engendrer un impact social et/ou environnemental au sein des mines : comme en 2019 lorsqu’un géant minier britannique a été considéré responsable de dégâts environnementaux causés par une mine de cuivre en Zambie, donnant raison à 1800 paysans et pêcheurs15 qui avaient pu constater des récoltes en chute libre, la disparition de poissons, le développement de maladies, etc... Ces personnes ont donc pu être indemnisées financièrement, mais les dommages ont laissé d’autres traces...

 

Un sujet illustrant la géopolitique mondiale à l’œuvre – Et le manque de souveraineté des pays occidentaux sur la chaîne de valeur

Pour des raisons économiques et écologiques, beaucoup de pays extracteurs de métaux ont cessé leurs activités à l’image des Etats-Unis dans les années 1990. Cette « démission » collective a avant tout profité à la Chine, cette dernière subventionnant massivement l’activité et assurant en 2022 l’extraction de 58% de la production mondiale et 89% du raffinage de terres rares16. Pour le cuivre, le Chili et le Pérou assurent à eux deux 40% de la production mondiale, mais l’instabilité politique y étant notoire, cela n’arrange en rien le défi d’approvisionnement à l’échelle mondiale.

L’Empire du milieu est donc aujourd’hui indispensable au marché des terres rares puisqu’il est le seul pays à en maîtriser l’intégralité de la chaîne de production (« extraction, broyage, séparation des terres rares du reste du minerai extrait »).

Et lorsque celui-ci annonce fin 2023 l’interdiction de l’exportation de technologies d’extraction et de séparation des terres rares17, cela devrait être une préoccupation majeure pour les Européens qui dépendent de ces exportations chinoises pour accélérer leur propre transition, mais cela s’inscrit aussi sur fond de rivalité croissante avec les Etats-Unis (notamment dans les technologies de pointe comme les semi-conducteurs, qui font l’objet de restrictions sur les exportations des Etats-Unis vers la Chine).

L’enjeu est aussi celui de la croissance économique chinoise, en effet les « trois nouvelles » – à savoir les industries solaires photovoltaïques, les batteries et les véhicules électriques – ont contribué en 2023 à 40% de la croissance chinoise18 avec des investissements passant de 4 600 milliards de Yuan à 6 300 milliards en un an. Difficile de ne pas tenir compte du relais de croissance que ces industries représentent lorsque l’on possède un avantage considérable de maîtrise de la chaîne de valeur pour stimuler ces industries face aux autres puissances économiques !

 

Faut-il intégrer ces valeurs en portefeuille ?

Malgré sa faible pondération dans les indices boursiers mondiaux et son caractère global d’industrie polluante, il convient selon nous d’intégrer au sein d’une allocation diversifiée une portion (variable selon les gestions) d’exposition aux valeurs minières (hors aurifères) permettant notamment :

1/ d’accompagner en amont la transition énergétique via une approche pragmatique reconnaissant que, sans ces secteurs, et sans leur propre financement, celle-ci n’est tout simplement pas… envisageable. Ceci passe par une sélection d’acteurs ou de supports d’investissements de qualité (best-in-class) à la fois sur l’intensité de la teneur en minerai de leurs exploitations, mais aussi sur des considérations ESG, avec des sociétés plus vertueuses que leurs concurrents, respectueuses des normes mondiales, sociales, des terres et des communautés locales, afin d’encourager et inciter les bonnes pratiques au sein de l’industrie minière, et ainsi limiter la pollution associée à l’électrification massive de l’économie, elle-même nécessaire pour réduire l’emprise minière dans le monde !

2/ de bénéficier via cette exposition de certains déséquilibres temporaires ou durables d’offre/demande sur des métaux laissant présager une forte appréciation du prix de ces derniers19 comme le mentionne par exemple le FMI ; tout en améliorant, ainsi, la protection de son patrimoine face à un scénario de hausse de l’inflation.

3/ d’intégrer ces réflexions dans un cadre global, où sévit la prépondérance de certaines puissances mondiales sur la chaîne de valeur. Il s’agit, par nos placements financiers, d’influer sur les marchés de capitaux pour sécuriser les approvisionnements nationaux ou européens pour relever nos propres défis. En somme, il s’agit presque d’enjeux de souveraineté nationale, voire de liberté.

 

1- engieimpact.com ; y compris les émissions indirectes de scope 3
2- All Country World Index - MSCI
3- Classification BICS niveau 3, ETF MSCI ACWI iShares
4- Selon l’AIE, la demande pour les trois métaux critiques essentiels cuivre, nickel et lithium devrait augmenter de 1,5x à 8x d’ici 2040
5- Selon l’AIE
6- autojournal.fr
7- What Is the Percentage of Electric Cars in the U.S.? | Edmunds
8- Faits sur le cobalt (canada.ca)
9- «La ruée minière au XXIe siècle»: le mensonge de la transition énergétique | Le Devoir – Média centre/gauche indépendantiste ; il faut environ 11kg de cobalt pour batterie EV d’une Renault Zoe face à une production annuelle de 200 000 tonnes.
10- De l’anglais « Doctor Copper » expression régulièrement utilisée dans les marchés des matières premières signifiant que les tendances du prix du cuivre ont une capacité à prédire la santé globale d’une économie car c’est une matière première fondamentale utilisée dans de nombreuses industries et produits.
11- Le devoir – source centre/gauche indépendantiste
12- Ambassade de France en Chine : Les trois nouvelles
13- Investir pour la transition énergétique : enjeux et perspectives (rothschildandco.com)
14- Des hausses de 1 500 % : la demande des minerais décisifs pour la transition écologique va exploser (ouest-france.fr)
15- Derrière l’extraction des métaux pour développer les énergies « vertes », un immense coût écologique à maîtriser (lemonde.fr)
16- IEA
17- Séisme dans le commerce mondial : la Chine interdit l'exportation de technologies liées aux métaux stratégiques (latribune.fr)
18- Ambassade de France en Chine : les trois nouvelles
19- Le FMI prédit une forte appréciation des prix des métaux dans les années à venir, pour freiner la demande et stimuler l’offre.